Le Rucher École de Rocamadour essaime en Californie



Le Rucher École de Rocamadour essaime en Californie !

 

Lorsqu´on on a la chance d´avoir une adhérente du Rucher École de Rocamadour, Bernadette NOUEL, avec un pied en France  (Fajoles-Lot) et un pied en Californie ( Petaluma-Comté de Sonoma), on n´hésite pas à faire le voyage vers la côte Pacifique des États-Unis. C´est en effet l´occasion de profiter des nombreuses relations de Bernadette dans le milieu apicole de cette lointaine région, pour découvrir le pays et se faire de nouveaux amis parmi les apiculteurs locaux.

 

Petaluma, «  la vallée des petites collines » des indiens Miwok, est une des plus anciennes villes (1858) de Californie. Elle a un gardé son charme « far west » et le comté de Sonoma, dont elle est la deuxième agglomération, est célèbre pour ses vignobles, ses vertes prairies et ses paysages pastoraux. 

 

Mon aventure a commencé à la Peterson´s farm, chez Ettamarie, une passionnée d´apiculture qui est à l´origine de l´association qui nous reçoit (Sonoma County Beekeepers´ Association - SCBA). Elle en a été présidente et continue de rédiger la newsletter mensuelle que l´on peut trouver sur le site : www.sonomabees.org . Ettamarie se consacre désormais à la promotion de l´apiculture parmi les jeunes, dans le cadre de la prestigieuse Fondation « 4-H » qui aide ces derniers à développer leurs compétences, à devenir des citoyens responsables et à se préparer une existence harmonieuse. Elle les reçoit dans une magnifique salle de sa ferme, qu´elle a aménagée pour faire connaître la vie des abeilles : outils pédagogiques, triptyques didactiques, ruche de démonstration, tout a été confectionné par elle-même : un vrai musée de l´abeille, plein de poésie et de tendresse.

 

 

 

 

Ici, on comprend tout de suite que la préoccupation première des apiculteurs locaux n´est pas la production de miel, mais la sauvegarde de l´abeille et la réalisation de conditions favorables pour une pollinisation durable dans le cadre d´un partenariat avec les agriculteurs et la population en général. 

 

On retrouve ce souci chez Len CARL, qui nous reçoit chez lui quelques jours plus tard. Len est un grand gaillard de plus de 2m de haut, aussi affable que grand. C´est un adepte de la ruche «  Top-Bar » que l´on appelle aussi « Ruche kenyane ». Il cherche ainsi à revenir aux sources de l´apicultures puisque de telles ruches ont été retrouvées dans des fouilles en Grèce et en Egypte. C´est également une ruche très utilisée en Afrique sub-saharienne et on peut la transformer en berceau si la famille de l´apiculteur s´agrandit !...Elle est facile à exploiter et tout ce qui en sort : miel, cire, propolis... est d´une grande pureté.

 

 

 

C´est à Len et Bernadette que je dois d´avoir préparé mes contacts avec la Sonoma County Beekeepers´ Association (SCBA) et d´avoir planifié mon intervention lors de leur réunion mensuelle du 8 mars. Ce soir là, je me retrouve donc devant une centaine d´adhérents de cette belle association ( qui en compterait 150, dont un professionnel) et son Président, Emery DANN, m´accueille avec des mots aimables qui me mettent immédiatement à l´aise. J´ai a mes côtés Serge LABESQUE, un fort sympathique gersois installé à quelques miles de là, près du bourg de Glen Ellen depuis plus de 25 ans. Serge est devenu « la référence » en matière d´apiculture dans tout le comté de Sonoma. Nous lui rendrons visite dans ses ruchers et relaterons plus loin ce qu´il nous a appris. Mais ce soir, il est là pour m´assurer que je comprends bien les questions posées par l´assistance dont l´accent américain me déroute parfois....J´avais préparé un diaporama en anglais et, pour répondre à la demande qui m´avait été faite, je me suis attaché à présenter l´organisation de l´apiculture en France, le mode de fonctionnement de nos associations départementales et la façon dont nous pratiquons l´enseignement de l´apiculture dans un Rucher École. J´ai également parlé du Vespa velutina et exposé nos modes d´action pour faire face à ce prédateur qui, je l´espère, ne viendra pas un jour jusqu´en Californie! Ils ont également découvert L´Abeille de France, dont j´avais apporté quelques exemplaires. J´ai cru comprendre, par le flot de questions posées, que ces informations ont intéressé l´auditoire.
                

   

 
 
 

Le 13 mars, nous nous retrouvons à Glen Ellen dans un des ruchers de Serge LABESQUE. Le cadre est magnifique : nous sommes sur de verdoyantes collines couvertes de prairies, de forêts et de vignes. Il fait un temps printanier ; de nombreux arbres fruitiers, les moutardes et les vesces sont en fleurs. Les abeilles s´en donnent à coeur joie.

 

Serge se livre à nous sans langue de bois et répond avec passion à toutes nos questions. Il est vrai que nous avons beaucoup de chances de pouvoir discuter avec lui et témoigner de sa façon de concevoir l´apiculture. Pour lui, il convient de développer une nouvelle approche de la gestion des ruchers qui s´appuie sur la méthode expérimentale. Ainsi, il commence par observer les abeilles dans les différentes situations et en déduit des règles dont il vérifie l´exactitude. La production de miel est accessoire ; la pérennisation des abeilles est plus importante. Il a pu constater que toute intervention des hommes sur le processus de pérennisation par des moyens autres que ceux que les abeilles elles-mêmes mettent en oeuvre de façon naturelle est néfaste, voire "criminelle".  Aussi, se limite t´il à favoriser par sélection les colonies qui parviennent à faire face à des agressions extérieures, tout comme celles qui se signalent par leurs capacités génétiques. Il a pu démontrer que les traitements appliqués sur les ruches par les hommes ne font que favoriser artificiellement des colonies faibles, qui deviennent encore plus susceptibles, et qui par-là même restent peu productives. In fine, avec l´approche de Serge, une bonne production de miel est un juste retour des choses, sans être un but en soi.

 

 


  

Serge privilégie l´abeille locale : une Apis Mellifera Mellifera introduite en Californie au XIXème siècle et hybridée avec l´Apis Mellifera Ligustica.
 

Ses 40 ruches sont toutes de type Langstroth. Il les fabrique entièrement lui-même. Il empile les uns sur les autres soit des corps de ruches, soit des hausses qui font 2/3 d´un corps de ruche. Il maintient 4 à 8 cadres par corps de ruche, selon la force de la colonie. Pour certaines de ses ruches, il constitue des empilements de plusieurs éléments séparés par une grille à reine,  créant ainsi des ruches à 2 reines ou seules les abeilles peuvent se déplacer dans la totalité de la construction. Les cadres sont munis d´un bord supérieur dont le dessous est biseauté afin de servir d´amorce pour l´étirage de la cire, ce qui évite la pose de cire gaufrée. Il ne met pas de planches de vol et ses réducteurs sont constitués de deux à tirettes, de façon à offrir une ouverture modulable derrière un grillage interdisant l´entrée des musaraignes. Il déconseille les ruches Dadant (inconnues localement) et Top-Bar.

Sans que ce soit un objectif, comme dit plus haut, il récolte environ 20 kilos de miel par ruche à Glen Ellen, (4 fois plus au nord-ouest de Petaluma plus riche au plan mellifère où il disposait ses ruches il y a 2 ans). Il récolte le miel à plusieurs reprises dans la saison, avec une récolte principale en juin.

 

Nous parlons ensuite de l´enseignement apicole tel qu´il est pratiqué dans le Comté. Il n´y pas l´équivalent des Ruchers Écoles. Serge enseigne l´apiculture au Junior Collège de Santa Rosa, qui fait partie de l´Université de Californie : les cours sont dispensés sur un semestre.
Une formation apicole est également assurée non loin, dans le bourgade de Sébastopol, par un gros fournisseur de matériel : BEEKIND. On étonne Serge en lui disant que l´on a même découvert un consultant qui assure pour 500 $ par an la fourniture d´une ruche, la formation apicole, le soutien de la ruche et qui garantit 20 livres de miel ! Enfin, une entraide gratuite est assurée entre membres de la Sonoma County Beekeepers´ Association, avec prêt de matériel pour la récolte.

Nous abordons ensuite la question des traitements et nourrissements appliqués aux ruches: Serge s´interdit TOUT traitement et nourrissement, avançant que les abeilles se renforcent elles-mêmes en faisant face aux agressions extérieures. Il a pu observer que les traitements parviennent à maintenir des colonies que la sélection naturelle aurait condamnées et qui globalement affaiblissent l´espèce. Serge s´autorise seulement un apport de mélange de 2/3 sucre avec 1/3 d´eau pour les ruchettes créées tardivement (juin) et qui n´ont pu s´approvisionner en nectar dans la nature qui ici ne produit plus de fleurs en été.

 


 

 

Les abeilles qu´il a sélectionnées au fil des ans ont appris à cohabiter avec le Varroa, sans en souffrir. Pour Serge, traiter, d´une manière ou d´une autre, est presque un crime contre l´espèce, car l´homme n´a pas à intervenir dans la sélection naturelle que les abeilles opèrent d´elles-mêmes en ne laissant subsister que celles qui peuvent affronter les aléas de leur environnement.

Quels sont alors les problèmes rencontrés par l´apiculture dans le Comté de Sonoma ? 
Par la richesse de sa flore, le comté offre d´excellentes possibilités à l´apiculture. L´abeille africanisée n´est pas encore parvenue jusque là (elle est à 300 km) et elle ne semble pas être une préoccupation majeure. La mondialisation a apporté le Varroa en Californie en 1987 et plus récemment le Petit Coléoptère des ruches (Aethina tumida). Les pesticides utilisés dans certaines exploitations agricoles environnantessont la cause d´une baisse importante d´activité des ruches. La mortalité hivernale reste faible (10% cette année, entre 0% et 13,5% au cours des 8 années précédentes) et Serge considère comme nous que le CCD (Colony Collapse Disorder) est l´accumulation de toutes les agressions causées par l´homme aux abeilles.

 

On en vient enfin au calendrier apicole : celui de Serge débute en fin d´hiver : il convient en cette période de l´année de  faciliter le développement des colonies, le but étant d´assurer qu´elles seront à maturité et en pleine vigueur pour, le moment venu, assurer au mieux la multiplication des ruches et l´élevage des reines. Il recommande de poser une hausse dès fin février afin de donner de l´espace à la colonie.

 

Au début du printemps et tous les 10 jours, il suit individuellement chaque ruche et observe le développement du couvain, visant l´objectif d´élever à terme ses reines dans des conditions optimales. Dès que le couvain operculé devient prépondérant, il y voit un signe précurseur d´essaimage. En effet, dans une ruche en développement au printemps, il y a presque autant de couvain non operculé que de couvain operculé. Lorsque les abeilles préparent un essaimage, elles font tout pour alléger la reine afin de lui permettre de voler. Dans ces conditions, la reine voit sa ponte grandement freinée et le couvain operculé devient majoritaire. C´est pour Serge le signe précurseur  d´essaimage à prendre en compte. Et c´est le moment d´opérer une division de la ruche. Par ailleurs, les ruches faibles sont réunies.

 
En avril, mai, juin, il s´adonne à la multiplication des colonies à maturité. Les ruches fortes sont divisées en éventails. Les meilleures sont utilisées pour assurer l´élevage de reines. Serge conserve ses reines 2 ou 3 ans en fonction de leur potentiel génétique.

En juin, Serge procède à la récolte principale, mais ne prélève que ce dont ses ruches n´auront pas besoin pour passer l´été (sec en Californie), et l´hiver. Car seul importe le bien-être des colonies...of course.....

 
 

Je quitte Serge, Bernadette, Len, Ettamarie, Emery, Coby et bien d´autres encore, avec le sentiment d´avoir beaucoup appris de ces apiculteurs du nouveau monde. Ils sont devenus des amis. Avec eux, nous jetons une passerelle entre le Lot et le Comté de Sonoma et nous essaierons d´échanger les meilleures solutions dégagées de part et d´autre pour assurer la survie de nos protégées et l´avenir de la pollinisation de notre planète.

Jean-Paul PICCO
Président du Rucher école de Rocamadour